La porte s'ouvre et j'aperçois un large sourire.
Eugénie est restauratrice de tableaux et objets d'art et m'accueille pour me raconter son histoire.
Autour d'un café chaud et quelques pralines, la conversation démarre rapidement.
Fille d'antiquaire, elle a grandi entourée de beauté et d'objets techniquement impressionnants mais ce n'est pas forcément ce qui l'a menée à choisir ce métier. D'ailleurs, Eugénie voulait initialement faire architecture mais c'est en histoire de l'art à la fac, par hasard ou destinée, qu'elle atterrit finalement.
Durant ces années d'étude, il y est très peu question de technique alors qu'il s'agit selon elle du plus important. Comment l'artiste choisit-il et travaille t-il ses matériaux : quelle technique ? Quels pigments ? Quel type de toile et quelle taille ? Où se fournit-il ? Pourquoi ces choix ?
On aborde alors les tableaux de Soulages qui ont "coulé" et sur lesquels, les pigments de certaines couches de peinture se sont liquéfiés. La recherche autour de ce phénomène étant multidisciplinaire, il existe un bouquet d'hypothèses autour des matériaux utilisés, des conditions de peinture, de séchage et de conservation...
L'histoire de l'oeuvre se cache bel et bien dans les choix infimes et infinis de son créateur.
C'est cette histoire qu'Eugénie cherche à transmettre.
Son travail est particulièrement axé sur les peintures à l’huile de toutes les époques et sur tous supports : toile, bois, cuir, verre, ainsi que les objets polychromes.
Dans son atelier, j'aperçois des fioles, des solvants, un masque et des lunettes binoculaires : autant d'outils qui permettent à Eugénie d'opérer avec précision et minutie. L'objectif est plutôt clair : il ne s'agit aucunement de remettre à l'identique mais de remettre en valeur.
Eugénie retire les crasses et le vernis souvent très oxydé pour atteindre la couche colorée, ce qui donne parfois l’impression de passer d’une photo sépia à une photo couleur. Elle pose également des mastics pour remettre à niveau les couches colorées et pouvoir faire la retouche en imitant le volume alentour et les coups de pinceaux…
Mais avant ça, il est nécessaire de s'assurer que le support est solide : parfois les toiles sont déchirées et la restauration prend des airs de chirurgie réparatrice où les fils de step remplace les straps sur la peau.
Je lui demande si une intervention l'a particulièrement marquée.
Un jour, alors qu'Eugénie nettoie la couche colorée d'un portrait, son coton se teint particulièrement à un endroit : il s'agit d'un repeint au niveau de la manche de la jeune-fille.
C'est un chien, méticuleusement camouflé jusque là, qui apparait finalement dans les bras de sa maitresse.
C'est aussi ça le métier de restauratrice d'art : faire parler les oeuvres des décennies plus tard.
Eugénie Neyrand - ateliereugenieneyrand.com
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